Actualisé le 9 octobre 2015 à 18 heures 40.
La Gommeuse, une peinture de Pablo Picasso datée de sa glaciale « période bleue » (1901-1904), probablement la plus belle création de cette séquence vue sur le marché depuis une génération, sera livrée aux enchères le 5 novembre par Sotheby’s à New York, lors d’une vente en soirée d’art impressionniste et moderne s’annonçant comme historique.
Ce chef-d’œuvre provient de la collection de William I. Koch – entrepreneur américain, collectionneur et gagnant de l’America’s Cup.
Picasso a peint ce saisissant portrait en 1901. L’artiste est toujours sous le choc du suicide de son ami anarchiste, le Catalan Carlos Casagemas, et en même temps porté par le succès de sa première exposition à Paris : son bleu du désespoir est très présent, mais la couleur apparaît, et notamment en rouge violent.
Pendant un siècle cette toile a caché un grand mystère : un portrait « fantasque » du père Mañach – le marchand de Picasso à l’époque, avec lequel l’artiste et Casagemas partageaient un appartement à Paris – couvrant tout son revers et peint dans un tout autre style.
Une opération de conservation sur le tableau réalisée en 2000 a permis de découvrir cette seconde œuvre, entièrement masquée sous la doublure de la toile.
Propriété de la collection William I. Koch – Pablo Picasso : La Gommeuse, huile sur toile, signée Picasso vers la gauche – inscription Recuerdo a Mañach en el día de su santo (Je me souviens de Mañach le jour de sa fête) sur une autre peinture figurant au verso –, peinte à Paris en 1901. Estimation : supérieure à 60 millions USD. © 2015 Estate of Pablo Picasso / Artists Rights Society (ARS), New York. Selon un commentaire de Sotheby’s : « L’œuvre restitue l’intensité, l’intériorité et la tension sexuelle inhérentes à cette période décisive dans l’histoire de l’art moderne. ».
Propriété de la collection William I. Koch – Revers de La Gommeuse : un portrait « fantasque » du père Mañach, marchand de Picasso. L’artiste l’a représenté avec une coiffure « exotique » et un corps de femme. Le jeune peintre et le commerçant entretenait une relation tumultueuse. © 2015 Estate of Pablo Picasso / Artists Rights Society (ARS), New York.
Selon Simon Shaw, codirecteur du département international d’art impressionniste et moderne de Sotheby’s : « Parmi toutes les périodes de Picasso, la période bleue, décisive dans la carrière du peinte, est l’une des plus prisées – c’est le moment où Picasso devient Picasso. Avec son regard rêveur et sa sensualité franche, la danseuse de cabaret de La Gommeuse inaugure un nouveau style pictural au XXe siècle. Tout en explorant les thèmes qui vont nourrir l’œuvre de Picasso durant les sept décennies à venir, cette peinture s’inscrit à mi-chemin entre la vie nocturne bohème de Toulouse-Lautrec et l’expressionnisme de Munch et de Schiele. »
De récentes études consacrées à la production de Picasso de 1901 laissent penser que La Gommeuse aurait été acquise par le marchand Ambroise Vollard quelque temps après 1906.
Dans les années suivantes, on retrouve l’œuvre chez le jeune marchand new-yorkais Lucien Demotte, qui la vend au réalisateur Josef von Sternberg. L’échange aurait pu avoir eu lieu environ un an après la sortie de L’Ange bleu (1930).
Josef von Sternberg revendra l’œuvre en 1949 à la Parke-Bernet Galleries de New York. On la retrouve un peu plus tard chez Jacques Sarlie, un financier d’origine néerlandaise basé à New York. Sarlie s’était lié d’amitié avec Picasso après la guerre et réunissait des œuvres de l’artiste de toutes les époques.
Jacques Sarlie revendra La Gommeuse chez Sotheby’s, à Londres, en 1960.
Depuis cette année-là, c’est la quatrième fois que la vente de l’œuvre est confiée à Sotheby’s.
Les huiles sur toile de la période bleue de Pablo Picasso sont rares sur le marché de l’art.
La dernière vente aux enchères d’une œuvre de ce type date de juin 2010, chez Christie’s Londres, pour un portrait d’Angel Fernández de Soto, ami inséparable du peintre – Angel Fernández de Soto sera tué pendant la guerre civile d’Espagne.
Cette œuvre (70,3 x 55,3 cm), peinte à Barcelone en 1903, aussi titrée Le Buveur d’absinthe, avait alors été payée l’équivalent de 51,58 millions USD – le vendeur l’avait acquise pour 29,2 millions USD en 1995.
Une des plus célèbres toiles de la période dite “bleue” de Pablo Picasso vendue aux enchères ces trente dernières années est Les Noces de Pierrette.
Ce tableau bouleversant, peint en 1905 mais toujours rattaché à la période bleue, raconte le mariage de Pierrette qui délaisse un Pierrot désargenté pour un millionnaire.
L’œuvre fut vendue à Paris en 1989 par l’étude Binoche et Godeau à l’homme d’affaires japonais Tomonori Tsurumaki pour 300 millions de francs (équivalent à quelque 77 millions USD d’aujourd’hui).
Un grand pastel de Picasso de la période bleue, Nu aux jambes croisées (collection Louis & Evelyn Franck) fait également partie du catalogue de la vente en soirée d’art impressionniste et moderne de Sotheby’s du 5 novembre (estimé 8-12 millions USD).
En mai 2014 , chez Christie’s New York, Les Femmes d’Alger (version O) de Pablo Picasso, une huile sur toile (114 x 146,4 cm) datée de 1955, est devenue l’œuvre d’art la plus chère jamais vendue aux enchères : 179,36 millions USD.
Des Nymphéas de Monet présentés dans la même vacation
Une œuvre phare de la série des Nymphéas de Claude Monet, provenant de cette même collection William I. Koch, figure également en haut de l’affiche de cette vente aux enchères de Sotheby’s.
La composition, peinte en 1908, est estimée 30/50 millions USD.
Selon l’expertise de la maison de vente, cette toile serait l’une des plus sophistiquées de toute la série des Nymphéas.
Propriété de la collection William I. Koch – Claude Monet : Nymphéas, huile sur toile, peinte vers 1908, 100 x 81,3 cm, estimée 30-50 millions USD. Photo : Sotheby’s.
Le 5 mai, à New York, Sotheby’s a vendu une œuvre de cette série des Nymphéas de Claude Monet, une huile sur toile peinte en 1905, d’un format de 80 x 105 cm, pour 54 millions USD.
Il s’agit du second prix le plus élevé pour une toile de cette série vendue aux enchères, derrière l’équivalent de 80,4 millions USD engagés chez Christie’s en 2008 sur un format exceptionnel de 100 x 200 cm, peint en 1919. Ce dernier prix constitue un record pour une œuvre de Monet vendue aux enchères.
En juin 2014, Sotheby’s a vendu une autre composition aux Nymphéas de Monet, datée de 1906, mesurant 88,5 x 100 cm, pour l’équivalent de 53,3 millions USD, le troisième prix le plus élevé aujourd’hui pour des Nymphéas vendues aux enchères.
Van Gogh et Malevitch
Paysage sous un ciel mouvementé par Vincent van Gogh, une huile sur toile peinte en 1889, estimée 50/70 millions USD (collection Louis & Evelyn Franck), et Suprématisme mystique (Croix noire sur ovale rouge) par Kazimir Malevitch, peint en 1920-1922, estimé 35/45 millions USD, font également partie – et entre autres – de ce programme vertigineux.
Pierrick Moritz
Catégories :Art moderne, New York City
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