Baccarat achetée par un fonds d’investissement chinois – LIULI Crystal Art : le goût chinois concurrent de l’art verrier français

La cristallerie Baccarat vient d’être achetée par le fonds d’investissement chinois Fortune Fountain Capital. Sur les réseaux sociaux, des personnes très mal informées regrettent « un transfert d’un savoir-faire français ». L’art du verre en Chine est âgé de quelque 3.000 ans, et les Chinois excellaient dans la pratique du verre multicouche bien avant le renouveau de la technique en Europe autour de 1870. Inspirée par la tradition chinoise et forte de créations adaptées à une esthétique qui s’internationalise, la marque asiatique de verrerie d’art LIULI Crystal Art (LiuliGongFang) pourrait devenir une redoutable concurrente des grandes noms occidentaux du secteur. Et ceci d’autant plus que l’avenir de la verrerie artisanale de luxe réside dans la haute décoration et l’œuvre d’art, et notamment pour des pièces de grande dimension.

L’art verrier en Chine, associé au prestige depuis 3.000 ans

En Chine, la fabrication d’objets en verre coloré et en pâte de verre (liuli en ancien chinois) remonte au moins à la période des Zhou de l’Ouest (vers 1050-771 avant J.-C.). Ces productions étaient réservées à l’élite, c’est-à-dire aux membres des familles royales. La pâte de verre était très appréciée pour imiter les pierres précieuses et semi-précieuses, et notamment le jade. Hormis les perles et les ornements destinés aux incrustations, les créations en verre chinoises de cette époque arrivées jusqu’à nous sont rares, car le matériau présentait une très grande fragilité.

Les collections du Metropolitan Museum of Art de New York conservent un bel exemple de bi en verre, une pièce datée de la dynastie des Han de l’Ouest (206 avant J.C.- 9 après J.-C.). Le bi, disque percé d’un trou, était un accessoire rituel. Des bi en jade ont été retrouvés dans les tombes de personnages chinois de haut rang (culture de Liangzhu ; vers 3100-2200 avant J.-C.). La signification originelle précise du bi, offert en sacrifice au dieu du Ciel, est sujette à caution. Une des plus intéressantes concerne le rapprochement avec le caractère ancien qui désignait le soleil, à une époque où les caractères chinois relevaient du pictogramme : un cercle dont le centre est marqué d’un point.

Le renouveau du verre multicouche : au XVIIIe siècle en Chine ; au XIXe siècle en Europe

Des objets en verre multicouche, aussi appelé overlay, sont apparus en Chine au XVIIIe siècle, dans les ateliers impériaux de la cour des Qing. Des pièces impériales de ce type sont régulièrement échangées contre plusieurs centaines de milliers de dollars sur le marché de l’art international. Elles sont issues d’une délicate technique consistant dans un premier temps à superposer des couches de verre de différentes couleurs (généralement deux) ; le décor est ensuite créé en camée ou en intaille sur la couche extérieure. Pratiquée dans la Rome antique, perdue de vue, possiblement en raison d’une préférence pour le travail du verre émaillé et gravé, elle a été relancée et perfectionnée en Europe dans les années 1870 par Thomas Webb & Sons, dans les années 1880 par Stevens & Williams et à la fin des années 1880 par Émile Gallé.

LIULI Crystal Art (LiuliGongFang) : un art verrier sensiblement attaché à la culture chinoise

Les Taiwanais Chang Yi (né en 1951) et Loretta Hui-shan Yang (née en 1952, à Singapour), mariés dans la vie et également célèbres pour leur parcours remarqué dans le cinéma asiatique, sont considérés comme les fondateurs d’un art verrier contemporain sensiblement attaché à la culture chinoise.

En 1987, le couple a repris l’ancien nom chinois liuli pour créer la très belle marque LIULI Crystal Art (LiuliGongFang). Son succès dépasse aujourd’hui le territoire asiatique. S’appuyant sur des techniques traditionnelles, l’entreprise est en perpétuelle recherche pour l’innovation. Éditées en séries, parfois à un faible nombre d’exemplaires, les créations en pâte de verre de LIULI Crystal Art peuvent reprendre les formes classiques et symboliques de la culture traditionnelle chinoise, comme celles issues de la nature, les créatures du bestiaire mythologique et les représentations auspicieuses. Les champs du bouddhisme, de l’histoire et de la calligraphie sont également investis. Les prix débutent autour d’une cinquantaine de dollars, et peuvent très largement dépasser les $10.000.

Plaquette d’information du Liuli China Museum (Shanghai), récupérée lors de sa visite.  

Qualité muséale

Des créations de Loretta Hui-shan Yang sont abritées dans les collections de grands musées à travers le monde, comme le Victoria et Albert Museum de Londres, le New York Museum of Arts and Design, et le musée des Arts décoratifs de Paris. Chang Yi et Loretta Hui-shan Yang sont les fondateurs du LIULI China Museum de Shanghai. Le lieu propose une exposition permanente, montrant entre autres des pièces de verriers français de la période de l’Art nouveau, comme Émile Gallé, et est ouvert à l’art verrier contemporain international.

Exportation de biens de luxe : la très longue expérience de la Chine

Pendant des siècles, la Chine a été le plus grand exportateur de biens de luxe du monde, grâce à un savoir-faire exceptionnel dans la production de marchandises rares, comme la soie et la porcelaine, mais également à une savante adaptation de certains produits aux goûts et à la culture des pays visés.

Les qualités d’articles de luxe contemporains visibles dans des vitrines de Pékin et de Shanghai donnent à penser que certaines marques chinoises connaîtront un succès planétaire, et possiblement au détriment d’enseignes occidentales installées. Cette projection est d’autant plus vraisemblable que le goût pour la culture chinoise s’internationalise.

Pierrick Moritz

Cet article est notamment composé d’extraits puisés dans mon étude Les Valeurs de l’art chinois, mémoire totale de la pensée chinoise – Enchères et Culture (publication : février 2017), disponible en version numérique sur Amazon. L’intégralité du texte est protégée par dépôt d’empreinte numérique.

 



Catégories :Analyses (marché de l'art), Art asiatique, Art chinois, Artwithoutskin

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