Le bilan des ventes d’art ancien d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique du Nord, proposées du 13 au 15 décembre par Christie’s et Sotheby’s à Paris montre un marché toujours en proie aux effets psychologiques de la crise financière occidentale, apparus progressivement à la suite de la débâcle de septembre 2008 engendrée par le grand scandale des créances pourries.
L’attentisme et l’élitisme des acheteurs – mais aussi des vendeurs – est ressenti de manière plus sensible qu’au premier semestre, où la situation économique mondiale semblait se détendre. La fébrilité est accrue, rendant les comportements plus imprévisibles. Les acheteurs opèrent une sélection plus sévère au sein de la rareté, mais certains des lots concernés sont délaissés. Dans le même temps, les estimations de pièces moins en vue sont pulvérisées dans des proportions inattendues.
Si les choix des amateurs sont d’ordinaire liés à l’esthétique et non à l’usage rituel, à ce regard occidental qui calque les formes des arts africains, océaniens et d’Amérique du Nord anciens sur l’art moderne du début du XXe siècle, l’évolution des goûts prend un jour nouveau, où la représentation historique y perd toujours. Après avoir assorti l’art africain à l’Art déco, un certain marché de l’art le coordonne aujourd’hui à l’art contemporain, voire au design d’après-guerre. On pense au très graphique sceptre Mboum du Cameroun, payé 216.500 euros pour une estimation de 6.000/9.000 euros (Paris, Sotheby’s, 14 décembre), ou au corps tout en ligne brisée de la statuette Léga (H. 12,5 cm), originaire de la République Démocratique du Congo, payée 960.750 euros (estimée 60.000/90.000 euros) au cours de la dispersion des collections Pierre Guerre et de divers amateurs (Paris, Sotheby’s, 15 décembre).
Parmi ces ventes « d’art premier » parisiennes, la dernière, proposée le 14 décembre chez Sotheby’s, a été la plus brillante. 76 lots sur les 96 proposés ont trouvé preneur. Ce taux d’invendus de 18,7 % est particulièrement bas pour une vente dans la spécialité.
Le lot phare du catalogue, un masque punu du Gabon (H. 32 cm), une pièce collectée en 1927 au Congo, a été échangé contre 1 million d’euros (estimé 350.000/450.000 euros).
Un pendentif en ivoire (H. 8 cm), originaire de la République Démocratique du Congo, a été payé 780.750 euros, pour une estimation de 30.000/50.000 euros. Il s’agit d’un prix tout à fait exceptionnel pour ce type d’objet. Le vendeur avait acquis celui-ci dans une petite vente aux enchères britannique, vers 1980.
Un masque kanak d’une hauteur de 31 cm, possiblement collectée sur la côte Est de la Nouvelle-Calédonie en 1850 (il s’agirait alors d’un des plus anciens masques prélevés sur l’île), a été payée 420.750 euros (estimé 50.000/70.000 euros).
Une hache d’apparat Songye, République Démocratique du Congo, haute de 40 cm, la lame présentant un décor gravé et ajouré, collecté dans les années 1910-1912, a été payée 384.750 euros (estimée 5.000/7.000 euros).
Un sceptre Mboum du Cameroun, d’une hauteur 44 cm, une pièce possiblement collectée en 1910-1911, a été payé 216.500 euros (estimée 6.000/9.000 euros).
Les deux invendus les plus chers de la vente sont une statue Sogye, originaire de la République Démocratique du Congo, d’une hauteur 83 cm, apparue chez Sotheby’s Londres en 1969 (estimée 200.000/300.000 euros, et une statue d’homme-lézard, venant de l’Ile de Pâques, d’une longueur de 34 cm, anciennement située dans la collection Maurice Pinto, qui l’aurait acquise auprès d’un couvent belge (estimée 150.000/200.000 euros). Le troisième invendu le plus cher de la vente est une statue Mumuye, Nigeria, entrée dans la collection de Gilbert Huguenin en 1963, dont 25.000/40.000 euros étaient attendus.
Pour l’opération comparable chez Christie’s, 40 lots sur les 102 lots proposés n’ont pas trouvé preneur. La déconvenue majeure concerne une caryatide Luba (H. 51 cm), originaire de la République Démocratique du Congo, assortie d’une estimation de 500.000/800.000 euros.
Le trois prix les plus importants s’élèvent à 1 million d’euros, 931.000 euros et 385.000 euros. Le premier va à une sculpture de lion en bois recouvert d’argent, originaire de la culture Fon du Bénin. Cette pièce rare et d’une remarquable qualité d’exécution, d’une hauteur de 28,5 cm, était estimée 200.000/300.000 euros. Le deuxième concerne un masque Fang, N’Gil, du Gabon, d’une hauteur de 58 cm, situé initialement dans la collection Léon Truitard (1885-1972) et transmis par descendance jusqu’au propriétaire actuel (estimé 600.000/800.000 euros). Le troisième a été payé pour acquérir une paire de statuettes Yoruba, Nigeria, de 89 cm et 90 cm de hauteur, estimée 80.000/120.000 euros.
Une des pièces les plus intéressantes du catalogue, un masque “moustique” Tlingit (hauteur 18,5 cm), originaire de la côte nord-ouest de l’Amérique du Nord (Alaska, Canada), a été payé 277.000 euros, pour une estimation de 50.000/70.000 euros. L’objet a été situé dans les collections du Museum of American Indian de New York entre 1949 et 1970.
50 % des lots d’une vente d’art océanien, proposée le 13 décembre par le même opérateur n’ont pas trouvé preneur. Il s’agissait de pièces issues de la collection Daniel Blau. La plupart des estimations étaient fixées entre quelques milliers et quelques dizaines de milliers d’euros. Les deux lots les plus chers, une grande herminette originaire de Tahiti, estimée 80.000/120.000 euros, et une massue maorie en néphrite (Nouvelle-Zélande), dont 30.000/40.000 euros étaient attendus, n’ont pas été vendues faute d’enchères suffisantes.
Le meilleur résultat, 33.400 euros avec les frais (20 %), va à un chasse-mouches des îles Samoa. L’objet était estimé 30.000/50.000 euros sans ces frais, il a été adjugé légèrement sous son estimation basse.
Pierrick Moritz
Catégories :Afrique, Art d'Afrique, Art d'Océanie, Arts premiers, Marché de l'art, Nouvelle-Zélande, Paris
La question demeure quand même ; pour les lots vendus à des prix faramineux, est-ce que les mêmes pièces partiraient à des prix pareils dans des galeries bien situées dans des capitales internationales ?
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Cela laisse évidemment rêveur le collectionneur qui cherche sa voie et se trouve désorienté quand une Mumuye – même peu intéressante et qui plus est dans un corpus actuellement miné par des faux et des super-tardifs – ou un fétiche Songhyé restent sur le carreau dans une vente d’une envergure incontestable. Est-ce à dire que lesdits objets ont été mal appréciés par les experts ou qu’un certain vent a passé et que le monde des amateurs regarde ailleurs ? Difficile à dire mais n’oublions pas que de tout temps il y eut des passades, des tocades et des modes et qu’en une époque pas si éloignée les objets dogons puis les objets Lobi sont restés loin des préoccupations des acheteurs et des marchands; sauf bien sûr de quelques collectionneurs à la vision plus claire, qui saisissaient là des satisfactions d’autant plus belles qu’elles empruntaient pour les ouvrir de nouvelles passerelles dans le riche dédale de l’art africain !
Lionel Adenis, marchand.
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