« Quand le Soleil voulait tuer la Lune » : témoignage ethnographique capital et hommage aux Selk’nam de la Terre de Feu

Quand le Soleil voulait tuer la Lune – Rituels et théâtre chez les Selk’nam de Terre de Feu a été publié par les éditions Métailié en 2008, deux ans avant la disparition de son auteur, Anne Chapman, une anthropologue franco-américaine.

À travers une reconstitution très documentée de la cérémonie du Hain chez les indiens Selk’nam de la Terre de Feu, cette étude nous ramène aux racines de la lutte des hommes contre le matriarcat. Les traditions de ce peuple sont possiblement restées intactes de la fin du paléolithique jusqu’à l’arrivée des colons, à partir du dernier tiers du XIXe siècle (1). Elles appartiennent au seul groupe de populations d’Amérique du Sud a avoir conservé la tradition du chasseur-cueilleur comme unique mode de subsistance, et en l’absence de contact avec des agriculteurs.

La cérémonie du Hain, rapprochée du théâtre par Anne Chapman, pouvait durer plus d’un an, ce qui donne une idée de son importance dans cette société. Le but était de conjurer la possibilité d’un retour au mythe fondateur d’une société matriarcale. Il s’agissait également d’un rite initiatique pour les jeunes hommes. Le nom Hain fait référence au hain, une hutte interdite aux femmes et dont elles auraient eu un usage tout aussi exclusif au temps du mythe matriarcal. Les hommes, cachés sous des costumes impressionnants (masques et maquillages corporels), faisaient irruption pour jouer dans ce « premier théâtre de l’humanité ». Les femmes, uniquement spectatrices, accompagnées des enfants, étaient censées croire qu’elles assistaient à de réelles apparitions d’êtres surnaturels. La cérémonie évoquait la domination du soleil sur la lune, à travers différentes scènes, dont certaines extrêmement violentes car il fallait intimider les femmes.

Anne Chapman a collecté des témoignages fondamentaux auprès des derniers descendants d’un peuple décimés par les premiers colonsCe travail, bénéficiant d’un éclairage contemporain, relevait de l’urgence. L’auteur a recueilli les souvenirs de la culture selk’nam et répertorié les différents « tableaux » du  Hain à partir de 1964. La dernière descendante des Selk’nam de la Terre de Feu ayant été élevée dans sa culture d’origine, Lola Kiepja (2), née en 1880, est morte en 1966.

L’anthropologue a enregistré les chants selk’nam de Lola Kiepja,  dont le rôle de chaman a permis la transmission d’une connaissance pointue des croyances de son peuple. Angela Loij (disparue en 1974), descendante des Selk’nam, plus jeune et seule à manier aussi bien sa langue d’origine que l’espagnol, a joué l’interprète. Angela Loij a participé à l’une des dernières cérémonies du Hain, en 1923 (3), un évènement suivi par le prêtre et anthropologue allemand Martin Gusinde (4) 

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(1) Les territoires selk’nam, au nord-ouest de la Grande Île de l’archipel de la Terre de Feu, actuellement partagés entre l’Argentine et le Chili, commencèrent à être occupés par les colons européens vers 1870.

Jusque-là, les rares contacts des Selk’nam avec les Occidentaux descendus dans la région la plus australe du monde n’avaient été que sporadiques et sans grande incidence.

Vers la fin du XIXe siècle, chercheurs d’or et éleveurs de moutons venus de l’étranger commencèrent à tuer les Selk’nam, mais aussi les peuples voisins,  les Haush et les Yamana.

Victime d’une volonté d’éradication de la part de colons, ces populations déclinèrent très rapidement dans les décennies suivantes, une extinction encore accélérée par les maladies inconnues apportées par ces étrangers.

(2) Lola Kiepja  : Kiepja est son nom indien ; « Lola » a été ajouté par la suite.

(3) La dernière cérémonie du Hain semblerait avoir eu lieu en 1933.

(4) Martin Gusinde, prêtre et anthropologue allemand auquel Anne Chapman fait référence pour des travaux et publications, effectua quatre expéditions en Terre de Feu entre 1918 à 1924.

Il y étudia les différents groupes d’Indiens déplacés par les immigrants, participa à des rites d’initiation, aida les Selk’nam à présenter l’une des dernières cérémonies du Hain, en 1923 (dont certaines photographies d’époque illustrent cet ouvrage) et enregistra leurs chants.

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Quand le Soleil voulait tuer la Lune – Rituels et théâtre chez les Selk’nam de Terre de Feu d’Anne Chapman. 205 pages  + cahier de 31 illustrations en noir et blanc. Éditions Métailié. Collection Traversées. 2008. 20 euros. Titre original : Drama and Power in a Hunting Society : the Selk’nam of Tierra del Fuego, © A. Chapman 1982.emm



Catégories :Argentine, Arts premiers, Histoire sociale, Livres

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