Marché de l’art 2010 : records et attentisme

La situation du marché de l’art mondial s’est nettement redressée en 2010, notamment à travers des prix faramineux pour des biens d’exception et l’art traditionnel chinois. Mais Les invendus ont été légion et certaines performances, notamment dans le domaine de  l’art contemporain, jurent avec ce manque de fluidité en cohérence avec la prudence des investisseurs sur fond de dérèglement économique structurel. 

Si, après une année 2009 difficile, la situation du marché de l’art mondial s’est nettement redressée en 2010, les phénomènes d’invendus et de lots importants achetés au niveau des estimations basses ont perduré tout au long de l’année. Le secteur a conservé les difficultés de son année de crise, et elles gangrènent par à-coups un phénomène sensible de vigueur retrouvée.    

Contrastes

Les 106,5 millions de dollars payés pour Nu, feuilles vertes et buste de Pablo Picasso figurent au sommet d’une palanquée de prix records.

Un Big Campbell’s Soup Can With Can Opener (Vegetable) d’Andy Warhol payés 23,8 millions avec les frais (12%), quand 30/50 millions de dollar en étaient attendus sans eux, trône au-dessus d’une corbeille à soldes bien garnie. 

Des Nymphéas de Claude Monet à 30/40 millions de livres figurent en tête de gondole d’une flopée d’invendus planétaire.

Dans la série “ loin du record espéré”, l’autoportrait d’Édouard Manet intitulé Portrait de Manet à la palette (Manet à la Palette) a été payé l’équivalent de 27 millions d’euros avec les frais (12%) sur une estimation de 24/36 millions d’euros sans eux.

Les marchands travaillent avec des stocks à minima

Ces résultats extrêmes illustrent la situation d’une économie qui dépend tout autant des collectionneurs que des marchands. Hors, ces derniers continuent à travailler avec des stocks à minima et à flux tendu. Ils achètent la marchandise qu’il sont sûrs de pouvoir revendre très vite.

Le secteur des arts décoratifs du XXe siècle, spécialité où les marchands sont traditionnellement très actifs, a été marqué par de  nombreuses déconvenues, dont certaines spectaculaires. 

Des pièces exceptionnelles et assorties d’estimations à l’avenant, comme une table basse en bronze d’Armand-Albert Rateau à Paris, ou un fauteuil “à la sirène” d’Eileen Gray et un bureau Greene & Greene à New York, soit le genre de pièces de commande types auprès des marchands les plus puissants, n’ont pas trouvé preneur. Dans la spécialité du mobilier ancien, un rarissime lustre en bronze d’André-Charles Boulle n’a pas été vendu chez Dorotheum.   

Les vendeurs des invendus

Si les lots ravalés ont été nombreux dans toutes les spécialités, les pertes relatives à leur mise en vente se feront sentir a minima dans les résultats des maisons de vente anglo-saxonnes car, sauf accord spécifique, ils sont supportés par les vendeurs.

Si, avec un  taux d’invendus de 20 %, l’estimation pré-vente globale pour l’ensemble d’un catalogue peut être rattrapée par des enchères très supérieures sur d’autres lots, le préjudice en terme de crédibilité pour ces services de grand luxe est important. 

La  majeure partie des clients déçus ne reviendra pas une fois la facture acquittée et, devant les risques encourus, les autres hésiteront à confier leurs biens.

Le retour du marketing de l’art contemporain spéculatif ?

Vu l’humeur plutôt attentiste des acheteurs, on peut être surpris par les prix astronomiques enregistrés pour certaines productions d’art contemporain.

Celles de Maurizio Cattelan, par exemple, et dont le Château de Versailles ne sera finalement pas farci en 2011. 

Au passage, signalons qu’une œuvre de Robert Gober vaut 10 fois moins cher.

Cattelan figurait au catalogue de la vente Philipps de Pury/Ségalot de décembre, là où un Men in Her Life d’Andy Warhol a été payé quelque 63 millions de dollars.

Au sujet de cette vacation qui a rapporté 117 millions de dollars, certains observateurs, dont du The Economist et cités par  Artvest Partners dans The Art  Newspaper, soulignent un curieux triptyque “maison de ventes-marchand-garantie”. 

Toujours dans The Art Newspaper, un journaliste rappelait que le vendeur de ce Warhol n’était autre que Jose Mugrabi (qui posséderait, entre autres, 800 Warhol). Le collectionneur en a profité pour acheté un Murakami à 6,8 millions de dollars, tandis que le même Murakami se trouvait au fond de la salle. 

Le mensuel britannique indique que, selon des sources commerciales, Philipps Mercury (la maison de ventes Philipps de Pury appartient au très puissant groupe russe Mercury) était le garant de la vente.

Si le fait que des œuvres soient garanties dans une vente anglo-saxonne n’a rien d’extraordinaire en soi, on peut tout de même y voir la touche finale d’un  tableau “très familial”, et pour un succès garanti.

Prix promotionnels pour Hirst et Koons

En 2010, un tableau de Damien Hirst arrive encore à se vendre 900.000 dollars. Pour ceux qui auraient perdu le sens commun à force de voir des enchères millionnaires, rappelons qu’il s’agit là d’une somme énorme. Après son crâne en diamants vendu à un groupe d’investisseurs dont sa société propre Science, et trimballé comme une attraction foraine dans certains musées du monde, l’homme d’affaires britannique a récemment fait fabriquer un crâne de fillette pavé de diamants roses.

Quand à Jeff Koons, les 16,9 millions de dollars payés pour son ballon noué en version bleue, quand un autre exemplaire en magenta valait 25,8 millions deux ans plus tôt, pourraient presque faire croire à un retour à la normale. Sauf qu’il s’agit toujours d’un prix complètement délirant en regard des prix payés pour des œuvres d’artistes historiques de l’art contemporain. Ceci étant,  toujours sur une idée de Koons, un mille-pattes gonflable encastré dans un escabeau et estimé 5,5/7,5 millions de dollars n’a pas trouvé preneur.  

La peinture ancienne en retrait

Alors que  la peinture ancienne était devenue un terrain de repli pour investisseurs pendant la période de grandes difficultés, la spécialité à moins passionné cette année. En 2009, après les 35,9 millions d’euros obtenus pour une œuvre d’art moderne lors de la vente Saint-Laurent/Bergé (Les Coucous, Tapis bleu et rose d’Henri Matisse), la plus haute enchère mondiale revenait à un dessin de Raphaël, une Tête de Muse payée l’équivalent de 32,39 millions d’euros.

Le phénomène a particulièrement été sensible au niveau des œuvres majeures. Par exemple, et toujours de manière significative pour l’ensemble de la spécialité, une Ordination de Nicolas Poussin estimée 15/20 millions de livres n’a pas trouvé preneur, un portrait militaire par Rubens s’est vendu au niveau de son estimation basse à 9 millions de livres, et une vue de Venise du Canaletto est partie pour l’équivalent de 2,65 millions d’euros, juste sous le seuil minimum attendu.

Des records internationaux pour les objets d’art traditionnel chinois 

Le marché de l’art international 2010 fait la part belle aux objets d’art traditionnel chinois, avec un record absolu de 51 millions d’euros marqué cette année en Grande-Bretagne pour un vase Qianlong. Et les œuvres d’art chinois, comme la peinture classique, ne sont pas en reste. 

Les deux géants Sotheby’s et Christie’s ont réalisé au second semestre leur plus importants chiffres d’affaires historiques pour des séries de ventes à Hong Kong, et avec des résultats spectaculaires pour les ventes de vins et de bijoux.

Toutefois, le protectionnisme étant de mise en Chine, aucune maison de ventes étrangère n’a de licence pour vendre à l’intérieur d’un pays où le marché de l’art est florissant.

La France, la chance de ses spécificités

Au même titre que la mondialisation n’a pas signifié la fin du camembert au lait cru en France, pas plus qu’elle n’a transformé l’attitude du consommateur norvégien qui consiste à acheter exclusivement des produits fabriqués en Norvège, ce n’est pas parce que le marché de l’art s’est mondialisé qu’il ne subsiste pas de spécificités “inexportables” et très rentables au sein de chaque pays. Dans le domaine des ventes aux enchères, l’engouement pour les souvenirs liés à certains sports aux États-Unis en est un exemple.

Le modèle des maisons de ventes françaises est unique, et ne se limite pas à Drouot, endroit où  le monde entier vient pour ses spécificités et avec des retombées économiques indirectes extrêmement importantes. 

À part finir par disparaître, Drouot n’aurait probablement rien à gagner en copiant le modèle anglo-saxon. Il aurait plutôt intérêt à cultiver ses différences, et surtout à les faire connaître.

Par rapport à la concurrence anglo-saxonne, et dans la majorité des cas, Drouot présente par exemple l’énorme avantage d’avoir des frais quasiment inexistants pour le vendeur  français (français, car il n’y a pas de frais de transport international) au cas où son objet ne trouve pas preneur.   

Quant à l’importance prise par le marché chinois, elle est inévitable, comme pour bien d’autres secteurs économiques (et les choses pourraient aussi se calmer). Drouot, Sotheby’s et Christie’s n’y peuvent rien à moins de pénétrer dans un pays où, pour le moment, elles ne peuvent pas exercer. 

Pour le marché de l’art global, et selon Artvest Partners, le grand perdant en volume de ventes depuis quelques années reste les États-Unis.  

Le problème de Drouot : sa communication

Le problème de Drouot, c’est avant tout une communication souvent réduite à son hebdomadaire, quand celles des acteurs anglo-saxons du marché de l’art est extrêmement active et diversifiée. Dans la presse papier spécialisée, où les annonces de ces derniers sont omniprésentes, celles de Drouot et des maisons de ventes françaises sont, en général, inexistantes. 

Pierrick Moritz

Cette analyse originale est la propriété de son auteur. Sa republication et  son exploitation commerciale, directe ou non, sans autorisation de l’auteur sont interdites. De courts extraits peuvent être repris en citant la source. Contact : pierrick.moritz@noos.fr



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