Picasso à 31 millions de dollars, Picasso sans acheteur et influence du goût asiatique

Actualisé le 10 mai 2014 à 9 heures 02

Ce ne sont pas les Occidentaux qui vont former les Asiatiques en matière d’appréciation de l’art occidental, mais les Occidentaux qui vont devoir s’adapter au goût asiatique en matière d’art occidental ? Possible.

Les résultats de la vente d’art impressionniste et moderne proposée par Sotheby’s le 7 mai à New York confortent les observations faites la veille chez Christie’s après une vacation dans la spécialité : les estimations élevées bloquent les acheteurs et les opérateurs semblent en difficulté pour estimer les œuvres, comme en témoigne la fourchette souvent large d’une même estimation. La présence toujours plus marquée d’acheteurs asiatiques explique en bonne partie l’état de désorientation du marché de l’art occidental, en raison de différences culturelles jouant sur le jugement esthétique. Sotheby’s a annoncé que la clientèle asiatique avait contribué à hauteur de 30 % dans sa recette de 219 millions de dollars.

Le 6 mai, Christie’s avait réuni 286 millions de dollars pour sa vente d’art impressionniste et moderne. Des œuvres beaucoup plus chères n’ont pas trouvé preneur chez Sotheby’s, dont trois de Pablo Picasso. Il s’agit d’une Tête de Marie Thérèse, peinte à l’huile sur toile à Boisgeloup en 1934 et assortie d’une estimation de 15/20 millions de dollars, d’une Femme assise dans un fauteuil, une huile sur toile de 1953 estimée 8/12 millions, et de Femme assise dans un fauteuil, buste, une huile sur toile de 1963 dont 7/9 millions étaient attendus. Le nombre d’invendus s’élève à 21 pour 71 œuvres présentées, contre 6 pour une offre de 53 œuvres chez Christie’s.

Payée 31,5 millions de dollars pour une estimation de 14/18 millions, Le Sauvetage, une huile sur toile peinte par Pablo Picasso en 1932, est l’œuvre la plus chère de la vacation. La valeur de cette peinture a doublé en dix ans sur le marché de l’art en vente publique (vendue en 2004 chez le même opérateur).

Le Pont Japonais de Claude Monet, une huile sur toile peinte vers 1918-1924, a été échangé contre 15,8 millions de dollars (estimé 12/18 millions). L’acheteur est asiatique, comme ceux de La Séance du matin d’Henri Matisse, une huile sur toile datée de 1924, le lot le plus important du catalogue de par son estimation (20/30 millions, sans les frais de 12 %), facturé 19,2 millions de dollars avec les frais, et, avec les mêmes conditions de vente, du quatrième exemplaire (sur 6) de La Place d’Alberto Giacometti, un groupe en bronze de taille moyenne échangé contre 13 millions pour une estimation de 12/18 millions. La vente autour du minimum attendu de ces deux dernières créations montre que les acheteurs asiatiques peuvent acquérir au meilleur prix possible des œuvres aux estimations élevées pour lesquelles peu d’acheteurs Occidentaux sont prêts à s’engager.

Avec une facture de 8,6 millions de dollars avec les frais (12 %) pour une estimation de 9/15 millions, la vente au ras de son estimation d’une éclatante Femme en jaune d’Henri Matisse, une superbe huile sur toile de 1923 dont 9/15 millions sans les frais (12 %) étaient attendus, ou la déconvenue de Karneval in Gelmeroda II, une très importante œuvre de Lyonel Feininger datée de 1908, acquise pour 1 million de dollars en 2002 chez Christie’s, notamment montrée lors de l’exposition Lyonel Feininger, At the Edge of the World programmée au Whitney Museum of American Art en 2011, nouvellement estimée 4/6 millions et invendue, infirme en partie l’argument facile d’une plus grande sélectivité des acheteurs lu dans la presse américaine après la vente de Christie’s du 6 mai (un marchand a même déclaré que les acheteurs étaient devenus…plus intelligents !).

Vu les niveaux de prix pratiqués dans ces ventes prestigieuses, le premier facteur de sélectivité est un compte en banque extrêmement garni. Les personnes prêtes à engager 20, 30 ou 50 millions de dollars dans une œuvre d’art sont peu nombreuses à l’échelle mondiale. Il suffit que certaines se retirent du marché ou que la proportion d’enchérisseurs asiatiques gagne en représentativité pour changer très sensiblement la donne d’une manière ou d’une autre.

En 2010, chez Sotheby’s, à New York, une Asiatique avait investi quelque 36 millions de dollars dans un Moïse sauvé des eaux peint par Lawrence Alma-Tadema en 1904. Il s’agit d’une reconstitution méticuleuse et idéalisée de l’épisode biblique, dans un genre qualifié de « pompier » par de nombreux Occidentaux. Ravalée dans une vente publique en 1960, cette œuvre avait été payée quelque 3 millions de dollars chez Christie’s en mai 1995 et était attendue à 3/5 millions.

La cote de Bernard Buffet, très grand dessinateur, dont les créations d’après-guerre sont appréciées en Occident et celles plus tardives souvent décriées, flambe en Asie. Regardez les clowns peints par Buffet dans les années 1980 : en dehors du phénomène de répétition d’une toile à l’autre, la proximité avec les personnages et l’ambiance des peintures de certains artistes chinois contemporains est flagrante.

Dans cette désorientation du marché de l’art, les goûts des acheteurs fortunés de la planète ne sont visiblement pas globalisés.

Pierrick Moritz

Autres prix enregistrés dans la vente de Sotheby’s du 7 mai 2014

D’Alberto Giacometti, Femme de Venise V, une sculpture en bronze de 110,6 cm de hauteur, numéro 3/6 d’une création de 1956 pour une fonte de 1958, a été échangée contre quelque 8,8 millions de dollars (estimée 6/8 millions).

Vendue par le Metropolitan Museum of Art au profit de son fonds d’acquisition, Sur la falaise à Pourville de Claude Monet, une huile sur toile peinte en 1882, a été facturée 8,2 millions pour une estimation de 5/7 millions.

Parmi les œuvres vendues au-dessus de l’estimation, Femme dans un rocking-chair, une huile sur toile de Picasso datée de 1956, a été facturée 6,3 millions de dollars pour un estimation de 2/3 millions ; une huile sur toile non titrée de Joan Miró, datée de 1947, a été vendue 8 millions pour une estimation de 4/6 millions ; une Composition avec femme aux cheveux mi-longs de Pablo Picasso, une huile sur toile de 1930, a été échangée contre 2,2 millions (estimée 900.000 dollars/1,2 million).

PM



Catégories :Art moderne, Marché de l'art, New York City

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