La recette de 28,5 millions d’euros produite par la vente d’art contemporain en deux sessions organisée par Sotheby’s les 3 et 4 juin à Paris est le plus important résultat jamais enregistré en France pour une vente aux enchères dans cette spécialité. L’estimation basse initiale du catalogue a été doublée.
13 enchérisseurs du monde entier se sont disputés un Gekidou suru aka (littéralement Drame de rouge) du Japonais Kazuo Shiraga, jusqu’à établir un prix de 3,9 millions d’euros quand les attentes tournaient autour de 1/1,5 million.
Il s’agit d’un record mondial pour une œuvre de Kazuo Shiraga vendue aux enchères.
Cette huile sur toile, inédite sur le marché de l’art, est une œuvre de commande peinte en 1969 et exposée l’année suivante à l’Exposition Universelle d’Osaka.
Disparu en 2008, Kazuo Shigara a été le pionnier des mouvements zero-Kai et Gutai dans les années 1950 au Japon, prônant un art partant de rien, sans modèle, où la matière et la couleur enfantent l’œuvre sans contrôle de d’esprit, pouvant être peinte avec les mains ou avec les pieds.
Dans la forme, la peinture de Shigara pourrait évoquer l’expressionnisme abstrait américain, et notamment Pollock.
Mais cet art japonais contemporain de l’après-guerre, abandonnant le traditionnaliste, n’est pas une adaptation au nouvel art occidental.
Il s’agit d’une réaction aux horreurs et à la défaite de la Seconde Guerre mondiale.
Le phénomène est comparable à la naissance en Europe des mouvements Dada, surréaliste et Anti Art après la tragédie de la Première Guerre mondiale, (et plus particulièrement face à “la boucherie” des tranchées).
Bombe atomique et dépossession de l’identité ont transformé les regards, obligé à une totale réinvention chez les intellectuels et artistes japonais de la génération de Kazuo Shigara (il est né en 1924).
Il faut résister à la folie et au suicide, lutter contre l’anéantissement.
La peinture de Kazuo Shigara hurle. Elle est révoltée. Elle est survivante. Elle est brutale. Elle est spontanée. Elle n’a pas de temps à perdre.
Certes, la peinture du géant de l’art Pollock est émotionnelle. Mais elle est intellectuelle.
La tragédie de la Seconde Guerre mondiale donna aussi naissance à un courant artistique radical au Japon et chez les exilés japonais aux États-Unis : le Non-Art. Il s’agit du début d’une réflexion nouvelle expérimentant, par exemple, l’idée de non-fabrication.
Le Gekidou suru aka de Kazuo Shiraga est le deuxième tableau le plus cher de la vente, après une Composition monumentale de Nicolas de Staël facturée 4,24 millions d’euros (estimée 2,5/3,5 millions).
Par ses dimensions (200 x 400 cm), il s’agit de la deuxième plus grande création peinte de Nicolas de Staël, après Le Concert, une toile de 1955 actuellement conservée au musée Picasso à Antibes.
Inédite sur le marché de l’art depuis son acquisition en 1950 par Denys Sutton et toujours restée dans sa famille, cette œuvre a été présentée pour la dernière fois au public lors de la rétrospective consacrée à l’artiste proposée au centre Georges Pompidou en 2003.
Des records mondiaux ont également été signés pour des créations de Germaine Richier et de Sam Szafran vendues aux enchères.
Il s’agit des 1,7 million d’euros engagés sur une sculpture Don Quichotte (1950-1951) de la première et des 865.500 euros payés pour L’Atelier de la rue de Crussol (1968-1971), un grand pastel sur papier du second.
Après cette vente à la recette record, Cheyenne Westphal, co-directrice monde pour l’art contemporain chez Sotheby’s, venue à Paris pour l’évènement, a déclaré : « Au cours de ces deux jours, Sotheby’s a enregistré à Paris de fantastiques résultats et engrangé plusieurs records mondiaux pour des artistes internationaux, démontrant ainsi la place incontournable de Paris sur le marché de l’art contemporain. »
Pierrick Moritz
Catégories :Art contemporain, Marché de l'art, Paris
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