Carol s’impose d’emblée comme le petit frère (ou plutôt la petite sœur) de Loin du Paradis, du même réalisateur : un plan somptueux nous replonge en quelques secondes dans l’Amérique des années 1950 vue par Todd Haynes.
Dans Loin du Paradis, une femme découvrait l’homosexualité de son mari ; dans Carol, deux femmes cherchent à s’aimer, malgré l’époque.
Une scène est saisissante : la fillette de Carol, installée dans la voiture, qui doit l’emmener fêter Noël avec son seul père, dit à sa mère qu’il y a de la place pour elle. Dans le règlement du divorce, le père demande la garde exclusive de sa fille, évoquant une « clause de moralité ». Les deux images s’entrechoquent en une seule et même réalité : la petite fille a besoin de sa maman, clause de moralité ou non. Et résonne étrangement dans la France (ou les États-Unis) de 2016, où des voix s’élèvent encore pour réclamer l’abrogation de l’adoption pour les couples homosexuels « pour le bien des enfants ». Curieux et saisissant raccourci, qui montre que l’Amérique des années 1950 telle que vue par Todd Haynes n’appartient pas encore tout à fait à la préhistoire.
Comme dans Loin du Paradis, Todd Haynes a ce talent de raconter une histoire d’une manière bien différente qu’elle l’aurait été si elle avait été filmée à l’époque. Il montre à quel point la domination masculine de l’époque s’emploie à « gommer » l’histoire d’amour des deux femmes ; à l’époque cette relation aurait été de facto gommée de l’histoire elle-même, laissée à la seule attention des spectateurs les plus réceptifs.
Cate Blanchett, déjà époustouflante dans Blue Jasmine, le seul bon Woody Allen de ces dix dernières années, l’est une fois encore, construisant un personnage dont elle nous montre en permanence deux vues : l’une de face, d’une femme inaccessible et iconique, l’autre de dos, d’une femme tentant de garder un difficile équilibre au milieu des turpitudes de la vie.
Carol, de Todd Haynes, d’après Patricia Highsmith. Sorti le 13 janvier.
Paul Bret
Catégories :Cinéma
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