ART NON CONCEPTUEL
Munch, Hirst et les 4 pieds de la chaise
Sotheby’s New York présente un exceptionnel Vampire d’Edvard Munch dans sa vente d’art moderne du 3 novembre. Dans son communiqué, l’opérateur compare le choc provoqué par cette puissante création à celles de…..Damien Hirst.
Le Vampire d’Edvard Munch que Sotheby’s New York mettra à l’encan le 3 novembre date de 1894. Le tableau représente une femme à la chevelure rousse éparse, le bas du visage plongé dans le cou d’un homme affalé sur une table.
L’œuvre fait partie d’un groupe de 4 de même facture réalisé par le peintre entre 1893 et 1894 et demeure la seule à ne pas appartenir à un musée. Elle sera exposée à Londres du 3 au 7 octobre, puis à Moscou, nouvel eldorado pour les marchands d’art, du 16 au 19 octobre.
Selon le catalogue de Sotheby’s, il semblerait que l’intention première d’Edvard Munch ait été plus d’évoquer le désespoir mêlé de tendresse d’un couple qu’une dame vampire : Vampire serait peut-être un souvenir de l’effroi ressenti par les spectateurs qui ont découvert cette création saisissante il y a plus d’un siècle.
L’émotion est toujours d’actualité quand on regarde aujourd’hui cette création sur laquelle on peut plaquer le concept d’anima jungien.
Une autre réaction, d’un tout autre genre, peut être suscitée par le communiqué de presse de Sotheby’s. L’opérateur, qui n’en finit plus d’assurer le service après-vente de Damien Hirst, compare le choc de la vision de l’œuvre de Munch à celui que provoquerait certaines créations du trublion de l’art contemporain. Tant qu’à faire, la maison de vente met également la puissance d’évocation de Goya et Bacon sur le même plan que celle de Hirst.
Avec ce Vampire, et contrairement aux créations de Hirst, nous sommes en présence d’un art non conceptuel par excellence. L’artiste conceptuel sait où il veut en venir, ce qu’il veut provoquer et ne pourra “vendre” son œuvre qu’avec un argumentaire autojustifiant son existence. Il peut même jouer avec les symboles de l’inconscient ou du sacré pour séduire ou choquer le public. Les génies comme Munch, s’ils partent forcément d’une idée concrète, ne savent pas toujours où il vont arriver. Et c’est pour cela qu’ils finissent par aborder des dimensions nouvelles et inexplorées.
Certains spectateurs, dont je suis, sont plus étonnés (pas sûr que pour la recette du génie – toujours imitée, jamais égalée – il faille forcément une bonne louche de détracteurs) par la puissance du marketing de Hirst que par celle de ses créations. Elles relèvent plus, dans l’ensemble, du catalogue de papier peint pour les papillons et les points, de la teinture textile pour la dynamisation de la couleur par une technique qui rappelle le tye-dying et du labo du docteur Frankenstein pour les animaux conservés dans du formol (avec l’option de l’imprécateur tiroir-caisse quand ces derniers sont affublés des symboles du sacré).
La différence fondamentale entre Goya, Munch, Bacon et Hirst est que les premiers représentent toujours l’avenir de l’art. Les 4 pieds de la chaise étant au design ce que les statues de propagande de Jules César sont à l’art conceptuel, ce qui est d’aujourd’hui n’est pas forcément nouveau et révolutionnaire, en avance sur ce qui a pu se faire dans le passé.
Pierrick Moritz
Catégories :Art contemporain, Art moderne, Marché de l'art, New York City
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