Joseph Cornell (1903-1972) est l’artiste le plus représenté par le nombre d’œuvres dans les ventes d’art d’après-guerre et contemporain proposées par Christie’s du 12 au 14 mai à New York. La présence aussi marquée de cet artiste, avec 20 de ses créations, est une première pour ce type d’opération.
Joseph Cornell, lié au surréalisme américain, est considéré comme l’un des chefs de file de l’assemblage. Il est célèbre pour ses boîtes vitrées (1) abritant des réunions d’objets trouvés, des images, des miroirs. L’idée générale trouve sa source dans Dada. L’œuvre à l’inventivité à la fois logique et intuitive de Cornell n’a pas d’équivalent dans la sphère des surréalistes de la branche des « illusionnistes ». Extrêmement poétique, avec des constructions évoquant la mallette du magicien, le « petit théâtre » ou même le décor de cinéma, elle se démarque du surréalisme européen par l’absence de toute considération psychanalytique. Sur ce dernier point, l’artiste a écrit : » Je ne partage pas les théories du rêve et du subconscient des surréalistes. »(2).
Avec une cote élevée mais qui est encore loin d’avoir épuisé tout son potentiel d’appréciation, pour un artiste de premier plan bénéficiant d’une bonne représentation dans des musées prestigieux et très admiré par la jeune génération, Joseph Cornell est une sorte de « client idéal » dans un marché où les grandes maisons de vente aux enchères doivent se battre avec âpreté pour décrocher les meilleures créations des artistes les plus chers. Ce contexte très tendu incite également à revisiter l’histoire de l’art pour promouvoir des artistes moins connus ou attirer l’attention sur certains genres et périodes moins emblématiques d’œuvres déjà très cotées.
Si la barre symbolique du million de dollars pour une œuvre de Joseph Cornell vendue aux enchères a été dépassée depuis un moment, un record a été enregistré en mai 2013 chez Christie’s, avec 4,8 millions engagés sur Magic Soap Bubble Set, une boîte vitrée contenant un assemblage d’objets et de matières diverses réalisée en 1940. L’œuvre était estimée 500.000/700.000 dollars. En 2008, le même opérateur avait vendu une Pharmacy de Cornell, une boîte vitrée avec 20 fioles identiques remplies de différentes matières colorées, le tout aligné dans un style très « clinique », pour quelque 3,8 millions de dollars (estimée 1,5/2 millions). Cette création date de 1943, soit quasiment 50 ans avant My Way de Damien Hirst. On remarque que les œuvres de Cornell proposées dans les ventes aux enchères ces dix dernières années sont en très grande majorité inédites sur ce marché spécifique.
L’œuvre la plus chère de Joseph Cornell proposée par Christie’s – le 13 mai – est un assemblage en boîte principalement construit autour d’une photographie de Lauren Bacall tirée du film To Have and Have Not, une création de 1945-1946 pour une maquette de travail datée de 1945-1970. Elle est estimée 4/6 millions de dollars sans les frais, soit attendue avec une facture flirtant avec le record pour une œuvre de l’artiste vendue aux enchères. Six autres œuvres de Cornell présentées dans la même vacation sont estimées entre 500.000/700.000 dollars et 2,5/3,5 millions. Encore treize autres, estimées entre 10.000/15.000 dollars et 350.000/400.000 dollars, apparaissent dans le catalogue d’une vente programmée le lendemain.
Le marché de l’art de très haut niveau est actuellement placé sur un terrain particulièrement glissant, car il est difficile de ne pas lier le phénomène des sommes colossales et inédites investies dans les œuvres d’art les plus prestigieuses à la présence accrue des fonds d’investissements, au milieu de la bourse en général, à l’afflux – dont le retour massif – de liquidités dans certains pays (Grande-Bretagne, États-Unis) et au phénomène inquiétant – même pour les plus libéraux – de l’extrême concentration des richesses aux mains d’une infime minorité. Il souffre également d’un problème d’image dans un contexte social difficile en Europe et aux États-Unis. Sur les réseaux sociaux, les commentaires sur les « records » du marché de l’art se font de plus en plus assassins.
(1) Cornell était fasciné par New York, et notamment par les vitrines de ses magasins, ce qui explique la présence d’une vitre sur ses boîtes.
(1) et (2) dans l’article sur Joseph Cornell de San Francisco Museum of Modern Art, The Painting and Sculpture Collection, Hudson Hills Press New York, 1985, pp. 118-119
Pierrick Moritz
Catégories :Art contemporain, Art moderne, Marché de l'art, New York City
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