Tel père tel fils ? Pas forcément, répond dans Mud Jeff Nichols, auteur du très remarqué Take Shelter. Si son père baisse les bras quand son mariage – et quasiment toute sa vie sur une maison flottante – va à vau-l’eau , Ellis, lui, à seulement 14 ans, est toujours prêt à se laisser intriguer par l’inhabituel. Alors quand il tombe sur un inconnu dénommé Mud (Matthew McConaughey) sur une île au bord du Mississippi où il aime à aller se promener en barque avec son meilleur ami, Ellis ne pense pas à rebrousser chemin, comme la prudence l’aurait commandé. Et même lorsque Mud, hors-la-loi désespéré, le mène plus ou moins en bateau pour l’inciter à l’aider à prendre la fuite, Ellis suit obstinément les consignes de cet homme qui le fascine, mystérieux et libre. Pas comme son père.
Dans Mud, des pères, il y en a plusieurs : des pères biologiques, des pères de substitution, souvent défaillants face à des fils en quête de repères. Derek Cianfrance aussi, dans le récent et très réussi The Place Beyond the Pines, tisse les itinéraires parallèles de deux pères et leur impact, des années plus tard, sur leurs fils respectifs. L’un, Luke, un hors-la-loi déterminé interprété par Ryan Gosling, parvient à transmettre un héritage à son fils. L’autre, Avery Cross, un flic hésitant campé par Bradley Cooper, en est incapable, alors même qu’il sera beaucoup plus présent dans la vie de son rejeton.
Que récupère-t-on de l’héritage de son père ? On peut en prendre le contrepied comme Ellis dans Mud, ou s’inspirer d’une image sublimée comme le fils de Luke dans The Place Beyond the Pines. Certains adultes se révèlent de leur côté impuissants à projeter un quelconque modèle sur la génération suivante : comme Avery Cross, le fils de The Place Beyond the Pines, ou Galen, l’oncle du meilleur ami d’Ellis dans Mud.
Jeff Nichols, qui n’en est qu’à son troisième film, affiche déjà un univers bien à lui, à la fois mutant et rayonnant. Comme avec Take Shelter, film catastrophe très cérébral, Mud est un film inclassable évitant un à un tous les écueils possibles. Ainsi Ellis (Tyle Sheridan), adolescent pugnace, perspicace et sensible, n’est pas l’une ces insupportables têtes à claques au génie précoce croisées dans certains films américains. L’Arkansas dépeint dans Mud témoigne d’une Amérique profonde, perdue dans tous les sens du terme, mais loin des habituels clichés noyés dans de la musique country. Enfin, Jeff Nichols mixe plusieurs genres sans s’obliger à choisir : tout à la fois récit initiatique, chronique sociale, polar et film d’aventures, Mud est un genre à lui tout seul.
Tout comme Derek Cianfrance qui réussit, avec The Place Beyond the Pines, un film aussi puissant que subtil, en même temps d’un grand classicisme et d’une originalité troublante. Les deux cinéastes trentenaires affichent une filiation perceptible avec leur grand frère James Gray, qui en seulement quatre films, de Little Odessa à Two Lovers, a assuré la relève des grands maîtres du cinéma américain.
Paul Bret
Mud de Jeff Nichols, sorti le 1er mai. Avec Matthew McConaughey, Reese Witherspoon, Sam Shepard, Michael Shannon.
The Place Beyond the Pines, sorti le 20 mars, mais toujours en salles. Avec Ryan Gosling, Bradley Cooper, Eva Mendes, Ray Liotta.
Catégories :Cinéma
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