« Il faut comparer ce qui est comparable » est une réponse possible quand deux choses ne supportent justement pas la comparaison. Pour certains créateurs, c’est « l’art avant tout », ils s’y consument, y crèvent, mais durent. Ils travaillent sans illusions pour l’éternité. Pour d’autres, c’est « l’art après moi », ils se consomment, profitent, mais passent. Ils travaillent pour leur illusion d’éternité. Les premiers sont au service de l’art. Les seconds prennent l’art à leur service, c’est un accessoire valorisant un ego. Techniquement doués, ils sont propulsés par le marketing sur un air de « artistes témoins de leurs temps » mal digéré. Si un Yves Klein, un Francis Bacon ou un Jean-Michel Basquiat se trouvent à des années-lumières d’un Damien Hirst ou d’un Jeff Koons, à peine la longueur d’un faux-cil sépare ces derniers d’une Lady Gaga.
Parmi les comportements générés par une crise économique, on trouve une certaine forme d’hédonisme. En ce moment dans les salles de ventes aux enchères, et quels que soient les moyens des acheteurs, on constate une propension à se faire plaisir. On ne veut que de l’excellent, quitte à faire exploser les estimations dans la limite de ses moyens. Pour les budgets relativement modestes, on se lâche pour une bonne bouteille de vin, un bijou, une pièce d’argenterie, une verrerie. À l’autre bout de la chaîne, du côté des milliardaires, ce sera un tableau de qualité muséale. Tout le monde semble d’accord pour raquer, mais pour de la qualité, pour ce qui dure, pas de machins à autodestruction programmée. Haro sur le toc, plus question de jeter l’argent pas les fenêtres.
L’époque n’est pourtant pas si loin où un veau mariné dans du formol et affublé de symboles du Sacré par Damien Hirst était facturé 10,34 millions de livres (septembre 2008, Sotheby’s, Londres), où un acheteur engageait 16,88 millions de dollars sur un Ballon Flower (blue) lustré comme une boule de Noël de Jeff Koons (novembre 2010, Christie’s, New York). En mai 2011, encore, chez Sotheby’s, à New York, une Pink Panther en porcelaine de Koons générait la somme délirante de 16,88 millions de dollars avec les frais (12 %), mais il s’agissait d’un prix bradé par rapport à une estimation initiale de 20/30 millions de dollars sans les frais.
En juin 2008, un exemplaire de Balloon Flower, (Magenta), avait été facturé l’équivalent de 12,92 millions de livres chez Christie’s, à Londres. Il s’agissait du deuxième prix le plus élevé de la vacation après les 17,28 millions engagés sur un triptyque de Francis Bacon. Lucian Freud, lui, passait après Koons, avec un splendide Naked Portrait with Reflection daté de 1980, à 11,8 millions.
Selon le cours du change du moment, ce Balloon Flower (Magenta) de Koons, valait autant que la plus chère des créations d’Yves Klein vendues aux enchères, un MG 9 à base de feuilles d’or sur panneau payé 23,56 millions de dollars chez Sotheby’s, en mai 2008. Ce chef-d’œuvre sur lequel les enchères s’étaient emballées était estimé 8/10 millions de dollars. Un mois plus tard, l’estimation du Balloon Flower (Magenta) de Koons, confidentielle, était assurément supérieure à 10/15 millions de livres.
Pendant cette période, le prix le plus élevé enregistré en vente publique pour Jean-Michel Basquiat, 14,6 millions de dollars (Sotheby’s, mai 2007), restait toujours moins élevé que les records obtenus par Hirst et Koons.
Avant-hier à Londres, au cours d’une vente historique chez Christie’s, un magnifique « relief-éponge » tout de rose poudré réalisé par Yves Klein en 1960 a été adjugé 21 millions de livres sans les frais (23,56 millions avec). 12,92 millions de livres ont été engagés sur un très puissant Sans titre de Jean-Michel Basquiat. Il s’agit de records mondiaux pour des œuvres de ces artistes vendues aux enchères. Un Study for Self-Portrait réalisé par Francis Bacon en 1964 a été embarqué contre 21,52 millions de livres. Un petit nu féminin de Lucian Freud, peint vers 1974, a été facturé 4,29 millions de livres.
À côté de ces œuvres de qualité muséale, les productions de Damien Hirst et de Jeff Koons faisaient pâle figure.
Et les enchérisseurs ne sont pas disputés pour acquérir le dernier des 5 Baroque Egg with Bow de Jeff Koons encore disponible sur le marché. Celui-ci, emballé en bleu et turquoise, a été facturé 2,6 millions de livres avec les frais (12%) pour une estimation de 2,5/ 3,5 millions sans ces frais. Il n’a pas atteint son estimation basse. En 2011, à New York, Christie’s facturait 6,42 millions de dollars avec les frais (12%) une version orange/magenta et un peu plus grande, qui était estimée 5,5/6,5 millions. En mai 2009, toujours à New York, Sotheby’s avait consenti un rabais de 20 % pour écouler un autre exemplaire, bleu/magenta, de dimensions identiques au précédent. Estimé 6/8 millions sans les frais (12 %), l’œuf avait finalement été facturé 5,48 millions avec les frais.
Damien Hirst n’était également pas à la fête, avant-hier chez Christie’s. Une de ses varicelles multicolores a été facturée 937.250 livres avec les frais (12 %) quand 1/1,5 million en étaient attendus sans ces frais. Une autre, l’éruption bigarrée recouvrant uniquement la moitié de la toile, a connu le même sort : facturée 361.250 livres avec les frais (20 % ici) pour une estimation de 350.000/450.000 livres. Pour une estimation intermédiaire, une troisième œuvre n’a pas trouvé preneur.
Bien-sûr, Hirst et Koons vendent encore à des prix très élevés. Lady Gaga, elle aussi, a probablement encore quelques belles années devant elle.
Pierrick Moritz
Catégories :Art contemporain, Londres, Marché de l'art, New York City
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