L’importante vente d’art impressionniste et moderne proposée par Sotheby’s, le 5 février, à Londres, s’inscrit dans la même nécessité d’offre restreinte que la vacation équivalente de sa concurrente Christie’s, programmée le lendemain, sur la même place.
Au sein d’un segment de marché pour millionnaires, dont l’élitisme se renforce de manière exponentielle depuis les effets de la crise financière de 2008, où les prix des œuvres les plus importantes ne cessent d’être repoussés au-delà de limites à chaque fois plus stratosphériques, le lot le plus cher du catalogue de Sotheby’s, un portrait de Marie-Thérèse Walter peint par Pablo Picasso en 1932, est estimé l’équivalent de 40/56 millions de dollars. En 1997, son avant-dernier propriétaire l’avait payé quelque 7,4 millions. Avec une accélération nette de la valorisation de ce type d’œuvres depuis quelques années, l’estimation moyenne de celle-ci a été multipliée par 7.
Le catalogue de Sotheby’s présente 40 lots quand on en comptait 53 au sein de sa vacation correspondante de 2012. 13 lots n’avaient pas trouvé preneur, dont les deux plus chers : un Bouleaux au bord du lac peint par Gustav Klimt en 1901 (estimé 6/8 millions de livres) et une grande Peinture de Joan Miró datée de 1933 (7/10 millions). Le tableau de Klimt était loin d’être représentatif de ce que l’artiste a fait de mieux en matière de scènes extérieures et l’estimation du Miró pourrait avoir été jugée excessive. Dans la même vente, une superbe Entrée de Giverny en hiver de Claude Monet, peinte en 1885, avait été payée 8,2 millions pour une estimation de 4,5/6,5 millions.
Ainsi se trouve résumée la situation d’exigence accrue de ce marché de haut vol, une tendance de plus en plus lourde. Les acheteurs millionnaires veulent des créations de qualité muséale exceptionnelles dans l’œuvre des plus grands artistes. Si elles font l’unanimité à la fois pour le marché et l’histoire de l’art, ces investisseurs sont prêts à engager beaucoup plus que l’estimation pour les acquérir, car elles constituent un placement sûr. Cette attitude pourrait notamment traduire la crainte permanente d’une crise boursière. Dans ce cas, ces œuvres pourraient être revendues très vite et souvent au moins au même prix.
Conséquence de la crise économique, le marché manque de profondeur. La sélection des opérateurs autour de lots potentiels beaucoup moins importants en valeur atteint des niveaux d’exigence rarement vus. Pour la vente de Sotheby’s du 6 février, quelques œuvres prestigieuses constituent la majorité du chiffre d’affaires. Pour un catalogue de 40 lots estimé autour de 100 millions de livres, quatre œuvres représentent quasiment 50 % de ce chiffre d’affaires attendu.
Le lot plus cher, une grande Femme assise au bord d’une fenêtre, un portrait de Marie-Thérèse Walter peint par Pablo Picasso à Boisgeloup en octobre 1932, est estimé 25/35 millions de livres. Les tableaux de Picasso de cette période représentant sa compagne d’alors sont particulièrement recherchés. Des prix colossaux ont été enregistrés pour eux ces dernières années, notamment chez Sotheby’s (25 millions de livres pour La Lecture, en février 2011, le double de l’estimation ; 41,5 millions de dollars pour une Nature morte aux tulipes, composition incluant un portrait de Marie-Thérèse Walter, en novembre 2012).
Cette Femme assise au bord d’une fenêtre avait été payée quelque 7,4 millions de dollars par son avant-dernier propriétaire, en mai 1997, chez Christie’s. Aujourd’hui, sa valeur estimée en dollars atteint 40/56 millions. Ce qui donne une idée de la valorisation de telles œuvres, en augmentation exponentielle depuis la crise boursière de 2008.
La deuxième estimation la plus élevée, 12/18 millions de livres, va à un Nymphéas avec reflets de hautes herbes peint par Claude Monet en 1914-1917. Des dimensions importantes (130 x 200 cm) jouent notamment en faveur de cette œuvre au cadrage relativement serré.
En novembre dernier, Christie’s vendait une composition de la série Les Nymphéas de Claude Monet pour quelque 43,8 millions de dollars. Cette œuvre, datée de 1905 et peinte à l’huile sur une toile de 88,3 x 99,5 cm, était estimée 30/50 millions de dollars. Ce prix, l’un des plus importants relevés pour une œuvre de l’artiste vendue aux enchères, va à l’encontre de l’idée que les Nymphéas les plus tardifs, en tant qu’aboutissement d’une recherche de 30 ans, seraient les plus recherchés. Il s’agit du deuxième prix le plus important enregistré en vente publique pour une œuvre de l’artiste impressionniste, après les quelque 41 millions de livres payées en 2008, chez le même opérateur, pour un Bassin de Nymphéas de 1919 aux dimensions beaucoup plus importantes (100,4 x 201 cm).
Pour diverses raisons, des Nymphéas de Monet peuvent aussi ne pas plaire au marché. Le plus gros bide de ces dernières années dans une vente publique occidentale va à une composition de cette série, une œuvre peinte à l’huile sur toile en 1906 et estimée 30/40 millions de livres (Christie’s, Londres, 23 juin 2010).
Une Femme rêvant de l’évasion, une huile sur toile peinte par Joan Miró en 1945, provenant de la collection Miriam et Ira David Wallach, où elle est entrée en 1964, est assortie de la troisième estimation la plus élevée : 8/12 millions de livres. L’œuvre, où la grammaire de signes développée par l’artiste quelques années plus tôt dans ses Constellations est utilisée, est présentée par Sotheby’s comme la dernière en main privée d’une exceptionnelle série peinte par l’artiste entre fin janvier et fin février 1945. Les autres appartiennent à des musées prestigieux.
L’aquarelle Amoureux (Autoportrait avec Wally), chef-d’œuvre réalisé par Egon Schiele en 1914 ou 1915, est estimée 6,5/8,5 millions de livres. Cette œuvre sur papier, comme deux autres du même artiste présentées dans la vente, provient du Leopold Museum de Vienne, en proie à des difficultés financières. Comme quoi la crise économique alimente en plus de modeler un marché de l’art d’exception réservé aux super riches.
Pierrick Moritz
Catégories :Art moderne, Impressionnisme
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